Une grosse voix retentit soudain:
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Andréï, il faudrait penser à libérer Miros !
Miros sursaute : c'est Arnold qui est descendu et se tient au beau milieu de la pièce, devant les slings où Andréï s'affaire. Ce dernier s'interrompt à peine, en tournant son masque vers Arnold. Il met du temps avant de se reprendre et de soulever sa muselière pour articuler d'une voix blanche:
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D'accord, tu peux le reprendre.
Sans un mot, Arnold fait signe à Miros de se lever et de le suivre. Ce dernier ne se le fait pas dire deux fois. Il emboite le pas d'Arnold en se rendant compte qu'il oublie le plateau mais décide de faire une croix dessus plutôt que de devoir se retourner. Il essaie de chasser de sa tête les images terribles qu'il vient d'enregistrer tout en suivant Arnold qui lui paraît un homme plutôt solide et mesuré, même s'il est dur par moments. Ce dernier pose la main sur l'épaule de Miros avant qu'ils n'arrivent à la salle à manger où les autres associés le complimentent:
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Bravo, Arnold !
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Je l'ai arraché aux griffes d'Andréï.
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Il est insatiable, vraiment !
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Il allait certainement s'en servir comme il a l'habitude de le faire. Je l'ai extirpé à temps de ce guêpier.
Miros reprend son service, un petit sourire de circonstance sur les lèvres comme si de rien n'était mais en fait il est bouleversé. Les cris des escorts torturés sur les slings le hantent désagréablement.
A la fin du service, c'est le moment des dernière embrassades avant que la soirée ne commence. Certains souhaitent la passer ensemble, d'autres pas.
John regarde Miros:
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On n'a pas beaucoup de conversation avec nos escorts. Ce n'est pas pour ça qu'il sont là ! On s'ennuie un peu par moments. Avec ton copain Michalo, vous êtes la nouveauté.
Miros sourit :
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On est des gars simples, Monsieur.
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Justement ! Cela nous change de ces escorts tellement professionnels qu'il ne reste pas beaucoup d'échanges authentiques avec eux.
Roger intervient:
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Qu'est-ce qu'un échange authentique ?
John sourit:
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Un échange sans calcul, sans intérêt pensé à l'avance.
Arnold intervient à son tour:
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Mais est-ce possible ?
Roger donne son grain de sel:
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Pour moi oui.
Arnold devient songeur:
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Bonne chance. Ces deux gars calculent autant que les escorts.
John émet des doutes :
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Peut-être moins. Leur premier objectif est de nous servir, pas de satisfaire nos désirs sexuels. Ceci peut venir ensuite évidemment.
Arnold se met à rire:
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La différence est mince.
John rétorque:
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Mais elle existe ! Miros et Michalo nous font plaisir en plus.
Arnold se récrie:
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J'ai encore un doute ! Pour moi, ce qui est important est ailleurs, dans la société, dans la manière dont nous avons développé nos richesses, notre pouvoir social. Les jeunes gars sont des a-côté que nous pouvons nous payer, justement parce que nous avons réussi.
Roger intervient:
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A la fin de ma vie, je me demande si je referais les mêmes choix pour m'enrichir à tout prix.
John renchérit:
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Etre riche ne signifie pas ne pas avoir de sentiments !
Arnold hausse les épaules:
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Vous avez raison sur un point. Massacrer le cul des garçons n'est pas une marque de respect de soi. Mais je n'ai pas eu le choix.
John se récrie:
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Mais on a toujours le choix !
Arnold soupire:
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On ne rencontre pas toujours la bonne personne au bon moment.
Miros est à sa portée, en train de servir les cafés et les liqueurs. Arnold lui caresse les cuisses:
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Mon bon Miros, tu te moques bien de nos idées de vieux !
Miros hésite avant de se lancer:
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Ce n'est pas vrai, Monsieur. J'écoute ce que vous dites.
Arnold lui sourit, l'air soudain mélancolique.
Miros se prend à rêver à une autre vie, en dehors de cette propriété, sans être domestique et peut-être côtoyer d'aussi près Arnold. Serait-ce possible ? Est-ce une relation improbable ? La différence d'âge et de statut serait-elle insurmontable ? Miros observe Arnold du coin de l'oeil pendant qu'il continue à deviser avec ses amis. Miros a soudain envie d'être protégé par tout le pouvoir d'Arnold, sa force et son esprit de décision. Ce serait à la fois un père et un amant. Il faudrait que ça soit réciproque pour que ça fonctionne, évidemment.